L’incipit des Médi­ta­tions méta­physiques est bien connu, et comme toutes les choses que l’on connaît trop bien, sa sig­ni­fi­cation ne cesse de nous échapper. Les choses qui comptent les plus nous sont cachées du fait qu’elles sont tou­jours sous nos yeux, remarque Wittgen­stein dans ses Recherches philosophiques. C’est le cas dans nos vies quo­ti­di­ennes, et c’est aussi le cas dans notre pra­tique intel­lectuelle. Au début des Médi­ta­tions, Descartes nous dit qu’il ne peut ni ne veut plus faire con­fiance aux opinions reçues, qu’il doit donc tout mettre en doute pour donner — enfin ! — à la philosophie et aux autres sci­ences un fondement solide. Mais les Médi­ta­tions ne sont pas un traité sys­té­ma­tique : elles sont une pra­tique spir­ituelle. Et le doute ne joue pas le rôle d’opérateur au sein d’un dis­cours purement théorique : il est un exercice généalogique de soi sur soi. Pour se défaire de ses anciens croy­ances, Descartes sait qu’il doit devenir autre que lui-même : il doit remonter en arrière dans le temps, jusqu’à ses pre­mières années de vie, parce que le doute hyper­bolique requiert une géologie du soi. Car si l’on n’est qu’une sub­stance qui pense, alors on n’est, après tout, que l’ensemble stratifié de ses croy­ances et ses opinions.

Thus, well before Niet­zsche and Fou­cault, Descartes defines the practice of cri­tique as a genealogical debunking of the self. A risky practice, to be sure, since we might very well dis­cover that the self is nothing but a pro­vi­sional, con­tingent assem­blage — that the self is a his­torical form, not a meta­physical sub­stance. From this per­spective, Descartes’ doubt is more radical than Al-Ghazali’s search for his original fitra, or natural con­sti­tution, under the strat­i­fi­cation of inherited beliefs. It is an exercise in “de-subjectivation.” And a reminder that one doesn’t practice this form of radical cri­tique unless one also prac­tices self-cri­tique. To debunk values or beliefs which never exer­cised any power on us would be a merely intel­lectual prouesse. Unfor­tu­nately, con­tem­porary academia too often rewards these “critical” exer­cises con­sisting in setting up an ad hoc adversary just in order to demon­strate that they are wrong. Critical thought has never been more à la mode, and yet, it seems that we have for­gotten the lesson that Descartes tried to teach us: we truly “crit­icize” only those beliefs which have once been “ours.” Cri­tique is a struggle, and the self is its first and main bat­tle­field. This is why cri­tique, in this radical sense, is always genealogical.

Un libro su questo tema com­in­cerebbe quindi con un capitolo ded­icato alle Med­i­tazioni di Cartesio, inter­pretate come un eser­cizio genealogico-spirituale, per fare poi spazio a una dis­cus­sione della Genealogia di Niet­zsche e delle diverse genealogie trac­ciate da Fou­cault (della pri­gione, della ses­su­alità, della verità), inter­pretate come pratiche del sé. In par­ti­colare, mi pro­pongo di rileggere queste genealogie come altret­tante analisi della “fab­brica del sé”. Una delle intu­izioni più riv­o­luzionarie di Niet­zsche è di aver levato al potere la sua aura metafisica, ripen­sandolo come ele­mento cos­ti­tutivo del tessuto del mondo, e della nostra sogget­tività. Il mondo, e il sé, come volontà (di potenza) e inter­pre­tazione — Schopen­hauer a testa in giù! Fou­cault ha pro­l­ungato questa intu­izione insis­tendo sull’immanenza rec­i­proca di potere e resistenza, fili che si intrec­ciano tra loro nella trama del sé. Ogni giorno la nostra società tesse questa trama, alla quale con­tribuiamo con le nostre azioni, i nostri gesti e i nostri pen­sieri. La critica è genealogica quando si impegna a dirimere tale trama, a recidere i fili che ci sem­brano superflui o dannosi, e a sos­ti­tuirli con altri. Le battaglie inte­riori degli asceti e dei mistici del Medioevo non con­sis­tevano, in fondo, proprio in questo? Non a caso Fou­cault ne parla in termini di contro-condotta.

Le qua­trième chapitre ferait alors place à un penseur inat­tendu, et aujourd’hui presque oublié. Quelqu’un qui a incarné l’êthos cri­tique dont il est question ici de manière exem­plaire, quoique dans une tra­dition rad­i­calement dif­férente. Dans les années 1930 et 1940, Jacques Mar­itain a engagé une lutte avec lui-même pour trans­figurer la manière dont un philosophe thomiste était censé penser des thèmes tels que la démoc­ratie, l’antisémitisme ou les droits de l’homme — une tâche véri­ta­blement cri­tique parce qu’elle requérait, comme chez Descartes, une laborieuse géologie du soi. L’un des moments clés de ce travail cri­tique de soi sur soi cor­re­spond avec une polémique très peu connue entre Mar­itain et le Père Ignacio Menéndez-Reigada, auteur en 1936 d’un texte qui, en se faisant le porte-parole de la position de la hiérarchie catholique espagnole, défend sans hési­tation le nation­alisme de Fran­cisco Franco, et définit sa guerre contre le Frente Popular comme « la guerra màs santa de la his­toria ». Une nou­velle « croisade », en somme, et même plus « sainte » que celles du Moyen Âge ! Encouragés par la lettre ency­clique contre le com­mu­nisme athée où Pie XI dénonçait les « hor­reurs » commis par les com­mu­nistes espag­noles, le premier juin 1937 les évêques espagnols signent une lettre col­lective qui rend officiel leur soutien à Franco. Ce même jour, une voix catholique — une seule — se lève : Mar­itain signe un article dans la NRF où il décon­struit les thèses de Menéndez-Reigada et sou­tient, non seulement que la guerre de Franco contre le Frente Popular n’est pas une guerre sainte, mais de manière encore plus rad­icale que la notion même de guerre sainte n’a plus aucun rôle à jouer dans le monde con­tem­porain. La guerre, c’est un fait ter­restre. Il n’est pas pos­sible de la sanc­tifier — même le pape n’aurait pas le droit de le faire ! La guerre civile espagnole, loin d’être une guerre sainte, est une « guerre d’extermination » qu’il faut arrêter au plus vite. Bien entendu, aux yeux de Rome et de la plupart des évêques du monde entier, Mar­itain devient un dan­gereux communiste.

The final chapter of the book would make room for some auto­bi­o­graphical ele­ments. It would start with my younger self, ten years ago, writing two MA theses: one on Fou­cault and one on Mar­itain. When asked why I was working on these two thinkers that everybody con­sidered as totally incom­patible, I have always found myself unable to artic­ulate in clear terms the intu­ition that yes, they do have some­thing in common! To describe this some­thing, I now suggest to use the concept of “genealogical resis­tance”: a radical form of critical practice directed first and foremost against one’s most cher­ished beliefs, against one’s culture and values, against one’s identity. No doubt this practice requires courage, as Fou­cault strongly empha­sizes in his analysis of ancient par­rhesia. However, this courage is not to be thought of in terms of heroism: we all expe­ri­enced it, in one form or another, in our work and everyday life. I would like to argue that it is now time to actively cul­tivate it, as a pra­tique réfléchie con­stantly pre­venting us from remaining the same.

  • New York City
  • March 23, 2020