Genealogías del yo — Lorenzini
By Daniele Lorenzini | Published on March 29, 2020
L’incipit des Méditations métaphysiques est bien connu, et comme toutes les choses que l’on connaît trop bien, sa signification ne cesse de nous échapper. Les choses qui comptent les plus nous sont cachées du fait qu’elles sont toujours sous nos yeux, remarque Wittgenstein dans ses Recherches philosophiques. C’est le cas dans nos vies quotidiennes, et c’est aussi le cas dans notre pratique intellectuelle. Au début des Méditations, Descartes nous dit qu’il ne peut ni ne veut plus faire confiance aux opinions reçues, qu’il doit donc tout mettre en doute pour donner — enfin ! — à la philosophie et aux autres sciences un fondement solide. Mais les Méditations ne sont pas un traité systématique : elles sont une pratique spirituelle. Et le doute ne joue pas le rôle d’opérateur au sein d’un discours purement théorique : il est un exercice généalogique de soi sur soi. Pour se défaire de ses anciens croyances, Descartes sait qu’il doit devenir autre que lui-même : il doit remonter en arrière dans le temps, jusqu’à ses premières années de vie, parce que le doute hyperbolique requiert une géologie du soi. Car si l’on n’est qu’une substance qui pense, alors on n’est, après tout, que l’ensemble stratifié de ses croyances et ses opinions.
Thus, well before Nietzsche and Foucault, Descartes defines the practice of critique as a genealogical debunking of the self. A risky practice, to be sure, since we might very well discover that the self is nothing but a provisional, contingent assemblage — that the self is a historical form, not a metaphysical substance. From this perspective, Descartes’ doubt is more radical than Al-Ghazali’s search for his original fitra, or natural constitution, under the stratification of inherited beliefs. It is an exercise in “de-subjectivation.” And a reminder that one doesn’t practice this form of radical critique unless one also practices self-critique. To debunk values or beliefs which never exercised any power on us would be a merely intellectual prouesse. Unfortunately, contemporary academia too often rewards these “critical” exercises consisting in setting up an ad hoc adversary just in order to demonstrate that they are wrong. Critical thought has never been more à la mode, and yet, it seems that we have forgotten the lesson that Descartes tried to teach us: we truly “criticize” only those beliefs which have once been “ours.” Critique is a struggle, and the self is its first and main battlefield. This is why critique, in this radical sense, is always genealogical.
Un libro su questo tema comincerebbe quindi con un capitolo dedicato alle Meditazioni di Cartesio, interpretate come un esercizio genealogico-spirituale, per fare poi spazio a una discussione della Genealogia di Nietzsche e delle diverse genealogie tracciate da Foucault (della prigione, della sessualità, della verità), interpretate come pratiche del sé. In particolare, mi propongo di rileggere queste genealogie come altrettante analisi della “fabbrica del sé”. Una delle intuizioni più rivoluzionarie di Nietzsche è di aver levato al potere la sua aura metafisica, ripensandolo come elemento costitutivo del tessuto del mondo, e della nostra soggettività. Il mondo, e il sé, come volontà (di potenza) e interpretazione — Schopenhauer a testa in giù! Foucault ha prolungato questa intuizione insistendo sull’immanenza reciproca di potere e resistenza, fili che si intrecciano tra loro nella trama del sé. Ogni giorno la nostra società tesse questa trama, alla quale contribuiamo con le nostre azioni, i nostri gesti e i nostri pensieri. La critica è genealogica quando si impegna a dirimere tale trama, a recidere i fili che ci sembrano superflui o dannosi, e a sostituirli con altri. Le battaglie interiori degli asceti e dei mistici del Medioevo non consistevano, in fondo, proprio in questo? Non a caso Foucault ne parla in termini di contro-condotta.
Le quatrième chapitre ferait alors place à un penseur inattendu, et aujourd’hui presque oublié. Quelqu’un qui a incarné l’êthos critique dont il est question ici de manière exemplaire, quoique dans une tradition radicalement différente. Dans les années 1930 et 1940, Jacques Maritain a engagé une lutte avec lui-même pour transfigurer la manière dont un philosophe thomiste était censé penser des thèmes tels que la démocratie, l’antisémitisme ou les droits de l’homme — une tâche véritablement critique parce qu’elle requérait, comme chez Descartes, une laborieuse géologie du soi. L’un des moments clés de ce travail critique de soi sur soi correspond avec une polémique très peu connue entre Maritain et le Père Ignacio Menéndez-Reigada, auteur en 1936 d’un texte qui, en se faisant le porte-parole de la position de la hiérarchie catholique espagnole, défend sans hésitation le nationalisme de Francisco Franco, et définit sa guerre contre le Frente Popular comme « la guerra màs santa de la historia ». Une nouvelle « croisade », en somme, et même plus « sainte » que celles du Moyen Âge ! Encouragés par la lettre encyclique contre le communisme athée où Pie XI dénonçait les « horreurs » commis par les communistes espagnoles, le premier juin 1937 les évêques espagnols signent une lettre collective qui rend officiel leur soutien à Franco. Ce même jour, une voix catholique — une seule — se lève : Maritain signe un article dans la NRF où il déconstruit les thèses de Menéndez-Reigada et soutient, non seulement que la guerre de Franco contre le Frente Popular n’est pas une guerre sainte, mais de manière encore plus radicale que la notion même de guerre sainte n’a plus aucun rôle à jouer dans le monde contemporain. La guerre, c’est un fait terrestre. Il n’est pas possible de la sanctifier — même le pape n’aurait pas le droit de le faire ! La guerre civile espagnole, loin d’être une guerre sainte, est une « guerre d’extermination » qu’il faut arrêter au plus vite. Bien entendu, aux yeux de Rome et de la plupart des évêques du monde entier, Maritain devient un dangereux communiste.
The final chapter of the book would make room for some autobiographical elements. It would start with my younger self, ten years ago, writing two MA theses: one on Foucault and one on Maritain. When asked why I was working on these two thinkers that everybody considered as totally incompatible, I have always found myself unable to articulate in clear terms the intuition that yes, they do have something in common! To describe this something, I now suggest to use the concept of “genealogical resistance”: a radical form of critical practice directed first and foremost against one’s most cherished beliefs, against one’s culture and values, against one’s identity. No doubt this practice requires courage, as Foucault strongly emphasizes in his analysis of ancient parrhesia. However, this courage is not to be thought of in terms of heroism: we all experienced it, in one form or another, in our work and everyday life. I would like to argue that it is now time to actively cultivate it, as a pratique réfléchie constantly preventing us from remaining the same.
- New York City
- March 23, 2020